Comment présenteriez-vous votre travail ? C’est un mix entre différents supports. Je produis beaucoup de collages, assortis de textes, assez personnels. Ces œuvres, c’est moi, mon histoire. Elles nourrissent aussi un rapport à la collection, car j’amasse beaucoup de choses, dont mal d’objets du quotidien, assez trivial.
On trouve notamment un tableau avec une photo de vous… Oui, il y en a plusieurs. Tout, de près ou de loin, est en rapport avec ma vie, mon métier… La plupart des clichés ont été pris dans mon atelier. Même les palettes en bois viennent de chez moi. On peut vraiment trouver la moitié de mon appartement ici !
S’agit-il d’illustrer à travers votre peinture la violence subie par les femmes ? Oui, pour moi l’art est une manière de résister à toute forme de domination. Personnellement et plus généralement, en tant que femme issue de la classe “moyenne”. Cela aurait été différent si j’avais été un homme ou homosexuelle.
Pourquoi toutes ces références sexuelles et autres injonctions parfois vulgaires ? Ce n’est pas un choix, mais une nécessité, une manière de survivre. Tous les mots et textes jalonnant mes œuvres me trottent dans la tête, deviennent comme des rengaines, et je dois en faire quelque chose, les sortir…
Vous vous intéressez beaucoup à la littérature aussi, n’est-ce pas ? Oui, elle m’a beaucoup aidée. D’Annie Ernaux à Virginie Despentes, en passant par Edouard Louis. Annie Ernaux, par exemple, relate dans ses livres son histoire, la manière dont on est dominés, via notre classe sociale notamment… c’est de cela dont je me sens proche. La seule différence réside dans le support. J’accorde aussi beaucoup d’importance aux textes, titres ou noms.
Qu’en est-il de l’iconographie religieuse qui jalonne vos toiles ? Plus jeune, j’avais retrouvé un ancien cahier de catéchisme de ma mère. Des choses m’avaient marquée, comme les mots utilisés par son aumônier, sa manière d’expliquer la Bible. Certains étaient soulignés ou écrits en capitales, donc très importants pour lui. Cette découverte m’a fascinée. Finalement, cet homme jugeait ce qui était bien ou mal. La Bible était donc biaisée… La religion catholique s’affiche aussi comme une forme d’autorité supérieure applicable à tous les champs. Lorsque l’aumônier parle du “père”, il peut s’agir de Jésus, de Dieu, ou bien du père de famille, un homme dominant une femme… Toutes les interprétations sont possibles.
Vous avez créé une partie de vos œuvres durant “l’affaire Weinstein”. Quel est votre avis sur cette histoire? On ne dispose pas assez de recul pour en mesurer les conséquences, mais j’espère que c’est une bonne chose pour les femmes… C’est marrant, parce que l’année dernière j’ai exposé à Nevers, presqu’à la même époque. Nous avions prévu de donner une conférence sur ce thème. Des classes devaient y participer et, finalement, la visite fut interdite ! Mais j’ai offert une de mes œuvres à la ville et ils ont pu l’étudier. Pourtant, c’était une œuvre portant un texte assez vulgaire, à savoir : « Tu as un beau cul, une belle bouche, ma fille, tu ne finiras pas seule ». J’ai trouvé ça génial, car ils ont ainsi pu aborder ce scandale, d’une certaine façon.
Quelle serait, selon vous, la meilleure façon de défendre la cause féminine ? Il n’y en a pas de “meilleures”. Chacun a sa propre manière de combattre. En ce qui me concerne, c’est à travers l’art. Chaque femme entretient un rapport singulier avec le féminisme. Pour certaines, se prostituer est une catastrophe mais pour d’autres, absolument pas ! Certaines cherchent à mettre en avant leur féminité, à se mettre en valeur, tandis que d’autres trouvent cela dégradant. Là réside toute l’ambigüité…
Propos recueillis par Marion Humblot
LM Magazine - 23 novembre 2018