Ces portraits en buste fascinent autant qu’ils inquiètent. Customisées, le plus souvent féminines, ces créatures affichent un réalisme troublant : dans la texture de la peau comme le regard, au reflet humide et pénétrant. Un miroir ?
. Ce virtuose du numérique a débuté sa carrière dans les années 1980 au sein de
. Le Français fut l’un des premiers dessinateurs à abandonner l’encre pour l’ordinateur.
. Cette hybridation débridée sert parfaitement son sujet. En l’occurrence, l’individu face à la globalisation.
». Ainsi naquit
, dystopie nous projetant en 2048. Agrémenté des textes d’Alain Damasio, ce livre se présente comme un catalogue de clones. Recouverts de logos ou d’images érotiques, ces jouets-esclaves sont cultivés pour assouvir nos caprices (affectifs, sexuels…). Mais certains se sont rebellés, et nous transmettent des images de ce futur peu enviable via le réseau temporel
. Transhumanisme, marchandisation du corps, capitalisme sauvage… Les thèmes sont nombreux, et connus.
. Sublime, mais glaçante.
Comment avez-vous débuté ? J’ai toujours dessiné mais n’avais jamais imaginé en faire un jour mon métier. Une fois diplômé de l’École Duperré, à Paris, j’ai tapé aux portes de divers magazines et notamment Métal Hurlant. A 15 ans, j’ai été marqué par le premier numéro, et la couverture de Moebius. C’était vraiment un auteur hors-pair, il a amené un souffle nouveau. Forcément, ça ouvre des voies quand on est ado.
Votre attrait pour la SF vient-il de là ? Pas tellement pour la SF, surtout pour la liberté d’expression, l’envie d’inventer des mondes. La science-fiction, j’en ai fait sans le vouloir ou même le savoir.
Vous êtes aussi l’un des premiers à avoir utilisé l’ordinateur pour dessiner, n’est-ce pas ? Oui. J’ai commencé avec de l’aquarelle, des encres puis le feutre. Il s’agissait de trouver la perfection, le digital était donc une évolution logique. Cette technologie m’a redonné envie de créer car je m’étais essoufflé avec les techniques traditionnelles. Etant très méticuleux, réaliser toutes ces pages me prenait un temps fou…
Qu’est-ce qui vous plaît tant dans cet outil ? Grâce à lui, tout devient possible avec tout ! J’aime l’hybridation. En cela, le numérique m’a ouvert de nouveaux champs, il a stimulé le fond comme la forme.
Quel est votre sujet de prédilection ? C’est l’humain avant tout qui m’intéresse. Je n’ai cessé de le montrer, de resserrer mon travail sur lui, d’édulcorer tous les décors pour recadrer sur le visage, le regard.
Mondiale TM en est vraiment l’illustration.
Vous confrontez ici l’individu à la globalisation galopante, n’est-ce pas ? Oui. Au départ, il s’agissait de parler du métissage, ce concept heureux de la mondialisation mais aujourd’hui transformé en produit marketing. Je suis parti de trois personnes de trois couleurs différentes : l’Africaine, l’Occidentale et l’Asiatique. A force de les modifier, il y en a eu des centaines. Cette idée du corps marchand m’a également inspiré. Je pousse l’humain dans ses derniers retranchements…
Comment se présente Mondiale TM ? Je l’ai conçu comme une sorte de catalogue de vente de corps par correspondance, avec beaucoup de mentions d’achat. C’est un travail que je mène depuis près de 15 ans. J’ai trouvé mon éditeur en 2016 et, deux mois avant la publication du livre, on a estimé qu’il fallait l’enrichir de textes. Alain Damasio a été séduit, je ne le connaissais pas mais son engagement m’a plu. Il a apporté une autre dimension à l’ouvrage, le menant un peu plus vers le clonage humain.
Ce récit se situe entre Le Meilleur des mondes et Blade Runner, n’est-ce pas ? Oui, ce sont aussi mes références. En fait, j’ai l’impression que ce bouquin est le pâle reflet de notre réalité, on ne s’en rend pas compte car on a le nez dedans. Rien que la question du transhumanisme est sidérante… En poussant notre monde un peu plus loin dans l’outrance, finalement ce que l’on vit aujourd’hui, ce consumérisme fou nous menant droit dans le mur, on obtient une vision du futur, une caricature assez troublante.
Comment avez-vous réalisé ces personnages ? Numériquement. J’ai acquis une grosse banque d’images et j’ai réutilisé ici des éléments que j’avais déjà créées. Je peux aussi trouver des choses sur internet, prendre des photos de matière, de texture, par exemple de reflets oculaires. Je me dirige de plus en plus vers un réalisme presque photographique. Je travaille quasiment sur la même image qui s’enrichit et se modifie au fil du temps. Je suis comme un musicien qui composerait avec divers sons. Je suis moins dessinateur que créateur aujourd’hui. C’était d’ailleurs ça l’idée du bouquin : le métissage, l’hybridation.
Quelle importance accordez-vous au réalisme de ces clones, confondant de vérité, notamment dans la texture de leur peau ?C’est ce qui a toujours guidé mon travail : rendre réelles des choses qui n’existent pas. A l’image de mes bandes dessinées présentant des animaux certes imaginaires, mais qui pourraient être vrais : grâce à l’ajout de vrais poils, de gouttes d’eau sur une truffe, de reflets dans les yeux… Ainsi, le lecteur pourrait avoir envie de les toucher.
Les couleurs sont aussi très vives… Oui, j’ai toujours adoré ces tonalités très franches, crues. J’avais un mal fou à les obtenir avec les techniques traditionnelles, mais avec le numérique, c’est du miel !
Pourquoi y a-t-il plus de femmes ici ? C’est un parti pris, depuis longtemps. Au sein de
Métal Hurlant, j’avais commencé par me représenter moi-même, et puis le magazine m’a demandé de dessiner des femmes, car c’était plus porteur ! C’est sexiste, mais c’est comme ça…Cela vient aussi de ce désir profond que j’ai de “toucher” l’être humain, et comme je suis un garçon…
Plus généralement, comment procédez-vous ? Avec une vieille version de Photoshop, de façon très basique, instinctive, car je ne suis pas du tout un technicien. J’utilise le numérique comme je travaillais avant, avec une feuille blanche et un pinceau ou un crayon, des calques qui sont aujourd’hui virtuels. Je n’ai pas tellement évolué dans ma manière de créer. La seule différence, c’est que cet outil me permet d’aller beaucoup plus loin, de traduire plus fidèlement mes images mentales.
Que verra-t-on dans l’exposition présentée à Lasécu, à Lille ? Je conserve la narration du livre, et j’essaie d’en présenter la plus grande partie. Le parcours débute par le métissage de ces trois nonnes de couleurs différentes sortant de leur chapelle et, plus on avance, plus elles s’hybrident, le chaos s’accentue. On verra à la fois des tirages numériques sur du papier, mais aussi de la vidéo, des petits slogans, des textes. J’aime cette idée d’immersion, que le spectateur se sente regardé lui aussi…