Plusieurs milliers de bandelettes, découpées dans de vieux illustrés, entortillées, encollées, forment patiemment la longue procession des dates dans une vie ordinaire. De temps à autre, un rouleau noir interrompt le cours monotone du temps, puis les jours recommencent à couler…
L’œuvre de Perlinpinpin est plus qu’un journal intime, c’est une mémoire. La mémoire d’un artiste obsédé par le temps qui passe. Ce temps qui se déroule, rythmé par des naissances, des décès, des rencontres, des séparations… Un parcours de vie, consigné dans des carnets soigneusement remplis, jour après jour. Ces précieux carnets, dont il se nourrit pour créer ses œuvres.
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Le travail et les œuvres de Perlinpinpin résistent à un classement aisé dans une catégorie d’Art (...) De toute les manières, c’est un art atypique. Cette résistance à tout classement accroche déjà notre attention et peut rendre inconfortable notre posture de regardeur. Au point d’en être agacé ou de feindre l’indifférence ou l’admiration.
Dans tous les cas c’est un travail obstiné mais non pas obsessionnel en ce qu’il ne se met pas en œuvre pour se boucler lui-même dans une répétition infinie, pour éloigner les maléfices de la vie, pour maintenir debout les ruines d’un psychisme altéré. Perlinpinpin au contraire entre par son travail dans un processus, un projet où le TEMPS n’est plus ce maître intraitable mais un des éléments (plus le seul) qui se tressent dans l’œuvre.
De plus, ses productions sont-elles des objets ou des tableaux ? Certes il y a un cadre, mais dans ce cadre il y a de la matière : fils et photos, fils et lettres collées, cylindres minuscules de papiers, boites avec des petits bouts de bois, boutons, noyaux de cerises.
L’art de Perlinpinpin, c’est les moyens qu’il trouve, d’œuvre en œuvre, d’insatisfactions en nouveaux essais, pour raconter de multiples manières son histoire avec le TEMPS (...)
Il ne faut pas oublier que Perlinpinpin fait son entrée sur la scène locale de l’Art par la photographie. Une manière d’allier précision, calcul, (c’est un passionné de physique, chimie, mathématiques) avec la vibration impalpable qui émane de chaque être vivant. Toutes ses photos semblent d’ailleurs empreintes de la tendresse de son propre regard. Tout son travail contient intrinsèquement ces 2 dimensions : celle de la rectitude et celle de la vibration.
Et puis la photographie c’est encore une histoire avec le TEMPS. Le photographe nous interroge à cause du saisissement qu’il opère d’un moment du réel. Si l’on admet que le flux du temps dans lequel nous sommes immergés ne s’arrête jamais, quelle est donc la signification de ce saisissement ? Le photographe arrache-t-il quelque chose au temps ? Impossible. Au même instant où il saisit, où il pense extraire quelque chose de l’épaisseur du temps, la photographie réalimente le passage du temps en vieillissant immédiatement parce qu’elle s’éloigne sans retour possible de la réalité présente de son objet.
Alors que fait le photographe ? En réalité il décroche des moments pour les réinscrire dans un autre flux de temps.
Photographier, peindre, être artiste n’est-ce pas dé-rythmer le temps ? N’est-ce pas, dans le flux du temps imposer un autre ordre du temps ?
De la même manière qu’on ne peut créer un rythme avec seulement un battement, on ne peut créer un autre ordre du Temps par une seule œuvre. La série s’impose. C’est dans le tableau « OUBLI » et sa multitude de petites photos suspendues à des fils tendus sur plusieurs plans, que Perlinpinpin nous met sous l’emprise de cette sensation. Mais aussi dans toutes ses autres compositions. Perlinpinpin ne se morfond pas mélancoliquement en regardant ce qui a fui et qu’il ne pourra rattraper, il ne tente ni d’arrêter ni de ruser avec le Temps. Mais par tout son travail Perlin retire au temps son invisibilité : une manière de lutter pied à pied et inlassablement avec lui.
Un peu comme le combat de Jacob avec l’ange. Jacob en gardera une claudication irrémiscible et Perlinpinpin un cheveu sur la langue.
Ce corps à corps semble si âpre que l’on doit se poser la question de savoir si l’œuvre de Perlinpinpin verse vers la Vie ou vers la Mort, un peu comme ces »Vanités » (sujet traditionnel de la peinture s’il en est) où la Jeunesse et la Beauté sont du même signe que la froide faucheuse.
Si l’on ne peut sauver l’Enfance du désastre du Temps, du moins faisons en sorte que cette très courte, merveilleuse et pourtant si difficile étape de toute vie, soit vraiment vécue. Une espèce de responsabilité silencieuse de celui qui sait envers celui qui ne peut pas savoir.
Et c’est là que cette histoire avec Ferdinand commence. Et quelle histoire !
Il en parle tellement comme l’affaire de sa vie qu’à la fin on se surprend à être jaloux de ne pas pouvoir éprouver et vivre la même chose que lui.
Mais ce qui est sûr en tous cas, ce qu’on ne peut pas louper, c’est ce que Perlin nous ramène de l’ENFANCE, la sienne passée, celle de Ferdinand aujourd’hui et la nôtre forcément. A tel point que l’enfance avec ce grand E(EUH) qui soulève toutes les barrières, on a envie de la prendre dans les bras, de s’oublier en elle, de ne plus revenir et de rester de l’autre côté du miroir, à rêver de papillons épinglés dans des boites rutilantes, d’étoiles de mer et d’équinoxes sur la plage de Calais, d’ouvrir la boite de « Gégé le petit chimiste », d’écouter de belles histoires d’amour et de plaisir. On n’en finit pas de rêver de promenades dans les brocantes, de trouvailles magiques que personne d’autre que nous n’a vues et on finit par comprendre Perlin dans sa Cabane/Atelier/Appartement qui roule ses petites bandes de papier comme les moines tibétains leurs moulins à prières tant et si bien qu’à la fin du jour il puisse se sentir apaisé à la condition bien sûr, de savoir que demain il pourra recommencer.
Mais Perlinpinpin, derrière cette jovialité contagieuse, ne cache-t-il pas au plus profond de lui-même un désespoir noir, sans fond mais indiscutablement actif. Le tableau « Les Suicidés » aurait dû être pour nous une alerte.
Et nous vient à l‘esprit la fin du film de Louis Malle « Adieu les enfants » où le prêtre accompagne les mains dans les mains ceux qui ne reviendront jamais, et lui avec eux.
Par ce quadryptique, Perlinpinpin veut sauver l’Enfance et par cette œuvre patiente, enlever à la Vie cette séduction dont elle se maquille pour faire oublier son irréversible mouvement.
Francine Auger-Rey
Janvier 2018